Entre populisme, nationalisme, consumérisme et révisionnisme ?
Le contexte socio-politico-économique américain a marqué le début d’une nouvelle ère dans les prises de position politiques et dans leur expression-diffusion.
Les États-Unis sont à l’épicentre de la crise des subprimes de 2007 qui marque l’essoufflement d’un modèle de croissance tiré par l’endettement et par un capitalisme financiarisé à outrance[1] (pour afficher les notes en bas de page, veuillez cliquer ici).
L’avènement du premier président noir américain conjugué avec les effets de la crise économique ont soulevé différents mouvements contestataires dans des États-Unis promis à une ère post-raciale.
Le Tea Party, ensemble d’organisations activistes politisées conservatrices proches du parti républicain et influençant ce dernier, nous intéressera particulièrement durant ce travail.
Dans un premier temps, nous tâcherons de comprendre comment s’est goupillé l’ancrage de ce mouvement dans la société américaine et autour de quelles valeurs s’articule-t-il ? Quelle frange de la population y prend part ?
Puis nous nous interrogerons sur les « porte-parole » ou les figures de proue du Tea Party, comment s’y prennent-ils pour influencer les partisans ? Nous proposerons également un décryptage de la manière dont ils font vibrer la corde de l’identité nationale à travers la publicité de leurs opinions par le prisme des émissions de télévision, des slogans scandés et affichés dans les manifestations ou encore dans la bande dessinée et dans la caricature.
En filigrane de nos recherches s’est dessiné un aspect que nous n’avions pas soupçonné au départ : l’aspect consumériste important du Tea Party. Autour du mouvement gravite un important merchandising, nous tâcherons de proposer des interprétations à ce sujet.
Nous poserons également des questions relatives à l’aspect révisionniste de l’Histoire de la part de certains teapartiers. Quelle est leur sens de la vraie histoire ?
Pour cette étude, notre souhait est de proposer une vision critique du mouvement du Tea Party, au carrefour du consumérisme, du populisme, du révisionnisme et du nationalisme, en insistant sur la démarche des membres et sur les moyens usés pour arriver à leurs fins.
Origines, revendications et composition du mouvement.
Le Tea Party est présent dans le paysage politique américain depuis 2009 mais l’occurrence la plus précoce du mouvement a été relevée en décembre 2007 lors des primaires du Parti Républicain. Lors du 234ème anniversaire du Boston Tea Party[2], un groupe de soutien au candidat Ron Paul[3] s’est constitué afin de lever des fonds pour financer sa campagne.
En novembre et décembre 2008, durant la période suivant l’élection de Barack Obama à la présidence mais avant son investiture en janvier 2009, le Parti Libertarien de l’Illinois a mis sur pied des cellules d’activisme politique sous le nom de Boston Tea Party Chicago se regroupant autour de la bannière d’un nationalisme anti-taxes.
Dès février 2009, lorsqu’Obama fustige l’administration Bush et gauchise son discours, il met en avant le rôle régulateur et redistributeur de l’État[4] et promeut son Stimulus Bill ; l’American Recovery and Reinvestment Act(ARRA) le 16 février 2009 afin de relancer l’économie du pays par le biais de grands travaux et de taxes notamment, des mouvements de protestation se regroupent autour de l’ « anti-pork » ou Porkulus[5].
Les premières grandes manifestations du Tea Party sont initiées via des campagnes sur le média social Twitter[6] qui permet de fédérer virtuellement les sympathisants. Le Tea Party doit en grande partie son avènement, le nombre de ses organisations et de ses sympathisants aux réseaux sociaux[7].
Toujours en 2009, les mouvements de contestation se généralisent. Ils se regroupent autour de valeurs communes, de la bannière du Tea Party, exprimant leur désarroi face à la crise économique[8].
Le Tea Party tire son origine dans l’opposition au mécanisme de sauvetage des banques et du système financier décidé à l’automne 2008. Il s’agit d’une mouvance de contre-opinion[9].
L’aile la plus radicale du Tea Party souhaite le démantèlement de ce qu’il reste de l’État-providence américain et est anti-étatiste farouche.
Il en appel au peuple, à des gens ordinaires, qui critique les formes classiques de représentation politique. Les teapartiers rejettent les élites politiques[10] et dénoncent le statu quo qu’elles produisent[11]. La légitimité de l’engagement politique du clan Obama est remise en cause. Une opposition se dresse entre le peuple, celui des banlieues et des petites villes, celui de la « vraie Amérique » face aux élites de Washington, coupées du monde[12].
Il est possible de retrouver certaines caractéristiques radicales des années 50 rappelant la dimension paranoïaque du McCarthysme renvoyant sans cesse à l’obsession d’une conspiration constante depuis plusieurs générations dénonçant l’idéologie démocrate qui accorde à l’État une place démesurée et néfaste depuis de nombreuses générations[13]. Le style paranoïde du Tea Party se retrouve dans la manière dont les programmes fédéraux se voient soupçonnés de nuire aux intérêts nationaux.
Le Tea Party se fait l’écho d’une partie de la population américaine à la fois conservatrice et libertaire qui a pour point commun son aversion face à l’État fédéral et opposée à la politique keynesienne des grandes travaux, au sauvetage des banques et de l’industrie automobile et à l’assurance maladie pour presque tous. On dénombre 1400 groupes qui se réclament de cette mouvance [14].
Il est intéressant de souligner l’aspect éparpillé voire sporadique des groupes Tea Party, lesquels ne communiquent pas forcément entre eux et dont les membres[15] se réunissent autour de manifestations ou d’actions de manière éparse dans le pays.
Une référence historique désignée
L’origine du terme « Tea Party » est une référence historique à la Boston Tea Party, révolte politique contre le parlement britanique en 1773. La Grande Bretagne pouvait alors taxer ses 13 colonies, lesquelles ont donc décidé d’établir un boycott du thé provenant de Chine, acheminé en Amérique par la Compagnie anglaise des Indes Orientales (BEIC[16]). Déguisés en indiens (ce qui permettait de se dédouaner en cas de troubles), les colons jetèrent les boîtes de thé à la mer après s’être emparés d’un bateau appartenant à la BEIC.
Il s’agit d’un soulèvement populaire contre le « trop d’État », opposé à une politique fiscale.
La Constitution américaine de 1787 s’articule autour des libertés fondamentales (les 10 premiers amendements) et de la séparation des pouvoirs. Les États-Unis fabriquent leur histoire autour de leur Constitution, autour de principes politiques[17]. La référence au Boston Tea Party est donc toute trouvée.
Composition du mouvement. : reflet d’une Amérique conservatrice
Le Tea Party est constitué d’une majorité d’électeurs blancs de la classe moyenne conservatrice et de la classe supérieure, protestants, du Sud et du Middle West des États-Unis, de plus de 45 ans dont un tiers est à la retraite et dont la moitié sont majoritairement républicains[18], radicalisant le discours conservateur traditionnel.
Ils voient les trois piliers de l’identité nationale américaine mis à mal par les élites de Washington[19]: la Bible, la Constitution et la bannière étoilée.
Ultra chrétiens, ultra-patriotes et défenseurs acharnés de la Constitution sacralisée, ils trouvent en Obama un repoussoir idéal. En insistant sur son second prénom Hussein, ils l’assimilent à un musulman, donc en extrapolant, à l’antéchrist. Le Tea Party est fondamentalement structuré par la référence religieuse[20].
Obama ne se préoccupe pas assez, selon les teapartiers, de l’économie. Il demeure un chef militaire indécis, sans courage, de par sa volonté de retirer les troupes américaines d’Afghanistan, de fermer Guantánamo.
Les teapartiers voient en Obama un intellectuel entouré d’universitaires, à l’écart du peuple.